Argh, je me suis fait griller : ça fait deux semaines que j'y joue et que je voulais commencer le sujet! Mais à force de jouer, j'ai laissé passer le créneau!

Les frères Moldenhauer ont commencé les animations en 100% numérique avant de se rendre compte que le "look and feel" était différent de l'anim sur papier utilisée pour les cartoons des années 30. Conclusion... ils ont tout fait en papier! C'est un vrai travail de passionné : eux-mêmes parlent de "labour of love". Et le résultat parle de lui-même : Cuphead est un bonheur visuel absolu.

Les créateurs ne se sont pas contenté d'imiter l'effet "tuyau de caoutchouc" des cartoons qui précédaient les 12 Principes de l'animation, ils ont reproduit le look cradingue et peu politiquement correct des dessins animés de l'époque, en écartant quand même les points les plus choquants pour le public moderne (notamment le racisme omniprésent). C'est l'esprit des premiers Disney, ceux d'avant les lois de protection de la jeunesse : la scène d'éthylisme de Dumbo, ou "l'île enchantée" de Pinocchio peuplée de sales gosses qui fument, qui jouent à des jeux d'argent et qui saccagent tout. Plus encore que Disney, qui s'est édulcoré avec le temps, c'est du Fleisher. Bien que le monde de Cuphead soit peuplé "d'objets animés", ils ont tous des tronches de truands patibulaires. Cuphead et Mugman, les deux héros (encore enfants), trainent dans des casinos ou des night clubs. C'est d'ailleurs dans un casino, que, pris par la folie du jeu, ils perdent une partie de dés contre le Diable en personne. Ayant joué leur âme, ils supplient le Diable de leur accorder une dernière chance pour ne pas aller en enfer : celui-ci leur demande alors d'aller collecter les âmes de ses débiteurs. Cuphead et Mugman partent donc dans le vaste monde pour affronter des boss surpuissants.

Le jeu lui-même alterne entre des scènes où l'on parcourt une carte, qui se déverrouille au fur et à mesure des victoires, et les arènes. Les challenges sont de deux types : des "runs and guns" avec plein d'ennemis où l'on collecte quelques pièces qui permettent d'acheter des armes et des bonus, et les combats contre les boss, tous originaux et différents dans leur esthétique, leurs attaques, etc.

Le jeu est TRÈS difficile, et je pèse mes mots. Sans être un expert, je me débrouille la plupart du temps et pourtant, là, je galère comme un malade : ma progression est très lente. On dispose au début de chaque niveau de 3 "hit points" et aucune possibilité de les retrouver en cours de niveau : et les attaques pleuvent de toutes parts donc il est facile de se faire toucher.

Les parties à deux sont vraiment éclatantes : on peut élaborer des stratégies, et aussi, principal intérêt, se sauver mutuellement. Lorsque l'un des deux héros meurt, son fantôme s'élève vers le haut de l'écran, et l'autre a la possibilité de sauter dessus pour le ressusciter. Mais dans ce cas, on ne revit qu'avec 1 HP alors on est sur le fil du rasoir. Il n'est pas rare qu'on se sauve mutuellement 4 ou 5 fois... sans pour autant arriver à gagner!

Chaque niveau dure 2-3 minutes donc il est facile de se laisser entraîner par le jeu et de réessayer encore et encore et encore. Des gamers bien meilleurs que moi disent qu'il leur faut une douzaine de tentatives pour vaincre un boss : moi ça se compte en plusieurs dizaines! Du coup, chaque victoire contre un boss est une VRAIE récompense, pleinement appréciée!

Malgré tout, le jeu n'est pas non plus injuste ou impossible, et à force de persévérance, on avance, petit à petit...

Il y a quelques petits défauts dans le gameplay, sans que ce soit handicapant. Les graphismes magnifiques du jeu peuvent masquer un peu l'action (fumées, etc.) et on perd ainsi des HP assez bêtement. Pour certains ennemis, les "box" ne sont pas non plus toujours très claires, et on se retrouve avec 1 HP en moins pour avoir "touché" un ennemi alors que celui-ci semblait visuellement encore éloigné. Mais ce sont de petits défauts ponctuels qui ne gâchent pas le jeu.

Autre point : la musique est géniale. Les morceaux sont très variés : rag time, swing, musique lyrique, etc. Tout le répertoire des années 30 y passe, pour notre plus grand bonheur.

Je suis ravi que ce jeu soit un succès. Déjà parce que c'est mérité. Mais aussi parce que ça montre que l'animation tradi est plus vivante que jamais  : elle profite à fond des nouveaux supports dont, en premier lieu, le jeu. Nul doute que dans les années qui vont suivre, nombre de studios vont tenter de reproduire, avec plus ou moins de succès, la formule de Cuphead...

Voilà, ça coûte 20 euros, c'est une merveille d'animation et en plus, un très bon jeu : qu'attendez-vous?

Oh la la, on est sur un forum d'animation, dont beaucoup d'animation traditionnelle, et on n'a pas même pas reparlé de Cuphead, comme s'il ne s'était rien passé en quatre ans!!

Bon alors :

- surfant sur le succès initial du jeu vidéo, Cuphead va avoir une suite, le DLC "Delicious Last Course". Avec carrément un trailer en marionettes :

- Cuphead a été décliné en comics. Deux volumes sont déjà sortis :

- Mais surtout, Surtout, SURTOUT, Cuphead a été adapté en série d'animation traditionnelle sur Netflix :

Et ça, c'est juste magique!! Rendez-vous compte : LE jeu vidéo créant un univers original et génial inspiré des cartoons des années 30, qui se paye le luxe d'une adaptation animée dans le même style "rubber hose" des années 30!

Alors comme le trailer le montre un peu, c'est du "rubber hose" boosté aux hormones, avec une qualité d'image impeccable, des décors somptueux et des couleurs magnifiques : un peu ce qu'était Roger Rabbit aux cartoons de la Warner des années 40-50. Pour les animateurs d'animation traditionnelle, c'est du bonbon pour les yeux : on n'a tellement pas l'habitude de ce niveau d'animation à la télévision.

Côté histoire, ce sont des épisodes d'une quinzaine de minutes, reprenant les héros et les vilains/boss du jeu dans des histoires déjantées et souvent drôles, dont l'humour s'appuie à la fois sur le caractère haut en couleur des personnages (Cuphead, téméraire à la limite de la stupidité, et Mugman, raisonnable et pétochard) et sur du "slapstick" traditionnel. Et même... de la comédie musicale!

Bref, pure joy!

(A y repenser, entre Cuphead et les Looney Tunes cartoons, ça mériterait presque un topic sur "La résurrection de l'animation traditionnelle"...)