Cette semaine on a pu voir passer sur les média sociaux le fameux #CyprienLeaks, pour parler du possible conflit d'intérêt du Youtubeur Cyprien siégeant à la commission d’attribution des aides à l'innovation / création sur internet du CNC.

Updates de l'article : J'ai pu discuter avec des gens qui ont fait parti de Commissions pour la TV et le Cinéma, donc je rajoute leurs commentaires sur la question.

Au départ de l'histoire, il se trouve qu'à un moment donné le dossier d'une boîte de production appartenant à Cyprien et sa compagne s'est retrouvé devant la dite commission pour demander une aide de 50.000€. Comme celle-ci l'a obtenu, et que ça s'est su, tout le monde a sauté à pieds joints sur Cyprien, qui pourtant avait pris soin de ne pas siéger ce jours la pour éviter qu'on pense à un conflit d'intérêt... Mais ce n'était visiblement pas suffisant. 

Il faut quand même le dire, c'est assez étrange, et en même temps logique dans un certain sens, que ce soit Cyprien qui incarne le problème malgré lui. En effet, il n'est absolument pas le seul membre de cette commission à pouvoir se retrouver dans cette situation, mais de par sa renommée et par le simple fait que ce genre de cas en vient à être connu du public quand ça lui tombe dessus... Bah c'est pour sa pomme. 

Sauf que, comme le souligne assez bien cet article de Numerama, le principal problème vient du système de fonctionnement de l'attribution des aides par le CNC... Depuis l'aube des temps. 

Pour décider qui obtiendra des aides dans le secteur de la création Cinéma, TV, Internet et Jeu Vidéo,etc... le CNC a plusieurs commissions, composées de personnalités du milieu en question et souvent d'une petite partie de gens venus de l'extérieur du milieu.

Et comme c'est dit dans l'article, ça dure comme ça depuis 1947... Plus de 70 ans... Depuis une époque ou l'internet et même les jeux vidéo étaient tout simplement de la pure Science-Fiction. Le problème c'est que le système n'a sûrement pas été pensé avec en tête le monstre qu'il est devenu par la suite dans le paysage culturel français. 

Le principal problème vient de deux facteurs : c'est très souvent les même personnes qui demandent des aides à des commissionnaires qui eux ne changent jamais non plus (ou rarement).

UPDATE : Pour les Commissions chargées des aides Cinéma / TV, les commissionaires changent environs tous les 2 ans. Je ne sais pas ce que ça donne pour les Commissions Innovation / Jeu Vidéo.

les membres de la commission étant des membres importants de la branche ou ils attribuent les aides, ils seront obligatoirement confronté à des situations de conflit d'intérêt. Vous ne pouvez pas y échapper. Et donc la solution prônée par le CNC est... Quand ça arrive, la personne ne siège pas et c'est parfois un suppléant qui vote à sa place.

…

C'est tout... 

Et très franchement ça ne règle pas le problème car il faudrait partir du principe que le suppléant ne va pas juger à l'identique de la personne qu'il remplace et que les autres membres de la commission ne seront pas eux même tenté de juger en faveur du membre qui ne peut pas être la. Le système entier repose sur une confiance totale en l'impartialité des membres de la commission entre eux...

Sincèrement, ce n'est pas comme ça que le Monde, ou carrément l'être humain lui même, fonctionne. 

UPDATE : Côté Cinéma / TV, la majorité des gens sont assez sérieux sur la question. Mais le volume bien plus important aide à avoir moins de situations de conflit, comme je l'ai précisé plus tard.

Ce problème est connu depuis longtemps, et dans la branche Jeu Vidéo, GameKult y avait déjà consacré un article en 2014, ou on retrouve, quelle surprise (non ), les même problèmes.

Par contre, ce n'est pas parce que ces problèmes existent que cela arrive à tour de bras pour autant. Partez du principe que le système du CNC aide beaucoup, beaucoup de gens à juste titre et que les commissions font globalement leur boulot... 

Mais vous avez fatalement avec ce système, le moment ou il va se passer un conflit d'intérêt flagrant et que pourtant on ne pourra rien dire dans le sens ou rien ne l'empêche dans les règles de base.

Il faut savoir que le CNC a un budget de fonctionnement de plus de 700 millions d'€ par ans, et comme le montre l'article de GameKult, pour l'année 2012 il se répartissait de la sorte :

- 323 millions d'€ pour le Cinéma.

- 291 millions pour la TV.

- 46 millions pour le Plan Numérique (si je me souviens bien, c'est la numérisation et l'archivation des vieux films, documentaires, émissions TV, etc).

- Environ 9 millions pour l'Innovation et le Jeu Vidéo, ce qui comprend à la fois internet et le JV si ne me trompe pas.

Donc dans le Cinéma et la TV, le truc est tellement vaste que les conflit sont fatalement plus rares (mais ils existent, on y reviendra). Par contre avec le peu d'argent dans la catégorie de l'innovation et du jeu vidéo (qui ironiquement représente 32 fois moins d'argent que la TV, ce média de l'aveniiireuu ! ), et au vu du petit nombre d'acteurs dans ces milieux, vous aller avoir beaucoup de gens qui vont se battre pour avoir leur part... Beaucoup de gens qui se connaissent quasiment tous entre eux.

Et souvent qui se retrouvent face à des gens de la commission qui ont déjà bossé avec eux par le passé, ou on toutes sortes d'autres liens... Et du coup même quand c'est pas directement votre boîte qui vous fait face, le conflit d'intérêt plane forcément au dessus de la décision. 

C'est le truc qui ne marche pas dans la défense de Cyprien d'ailleurs : il dit lui même que si un de ses proches se retrouve face à la commission, il n'assistera pas à celle-ci... Sauf que Numerama a bel et bien trouvé un cas ou il l'a pourtant fait face à un de ses anciens collaborateurs. 

Dans le milieu du Jeu Vidéo, le constat est le même, certains sont carrément allés jusqu'à disputer des attributions d'aides devant le tribunal... En pure perte, comme le précise l'article de GameKult, car pour cela il faudrait prouver que la commission n'a pas tout simplement décidé de façon honnête et impartiale d'attribuer l'aide en question. Le simple fait de connaître la personne n'est pas suffisant pour prouver que tout ne s'est pas fait dans les règles...

En gros, il faut un véritable Quid Pro Quo pour prouver que la commission est coupable : un cas ou l'attribution de l'aide est clairement liée à un bénéfice direct pour l'un des membres de la commission qui a pris la décision.

Or, même si c'est juste humainement pour faire plaisir à un type avec qui t'as déjà bossé par le passé et qui te retournera peut-être l'ascenseur dans le futur, ce n'est absolument pas suffisant pour constituer une infraction pénale... Et c'est quelque chose qui n'est pas répréhensible dans le système lui même des attributions d'aide du CNC. 

Juste, on leur demande de faire attention à ce genre de cas, mais rien n'est pensé pour les éviter.

Vient alors un des autres éléments du problème : c'est un peu toujours les mêmes qu'on retrouve, et qui touchent les aides, alors que dans la théorie les aides du CNC sont la pour aider la création, quel qu'en soit la source.

Du coup, comment cela se fait-il que dans ces secteur tout petit que sont le Jeu Vidéo et la création sur Internet, cela tourne sur assez peu de gens avec un nombre pas très important de nouvelles têtes ?

Simple : les démarches sont complexes, trop pour un débutant, avec beaucoup de contraintes que seul une boîte bien préparé peut négocier pour constituer son dossier. De plus, vous avez d'autres freins comme le fait que si vous voulez une aide pour votre chaîne de streaming sur internet, il vous faut déjà avoir plus de 10.000 abonnés avant même de pouvoir déposer un dossier ! 

C'est d'ailleurs un des points sur lesquels le CNC est en train de se poser des questions, car il constitue un véritable frein pour beaucoup de gens en imposant un seuil de départ sans doute trop haut.

Ceci étant dit, il faut constater que ce qui a agité la toile autour de Cyprien pendant une semaine, c'est une goutte d'eau dans la mission du CNC... Et c'est assez bizarre que les dérapages dans les branches historiques les plus importantes ne fassent pas forcément plus de bruit.

Pour rappel, la trésorerie du CNC est monumentale, au point qu'on se demanderais presque ce qui les empêche de financer plus de projets... Et pour ce qui est du CNC Cinéma, qui distribue le plus de fond par ans, on a quand même déjà vu un paquet de gaspillages malgré les règles en place.

Exemple avec le cas du film Valerian de Luc Besson, qui pourtant avait enfreint toutes les règles du CNC et a malgré cela obtenu une dérogation pour avoir aides et crédits d'impôts. A côté de ça, des films comme Mutafukaz ou Mune le Gardien de la Lune n'ont, à ma connaissance, pas obtenu d'aide. Pourtant ces derniers coûtaient 16 à 32 fois moins que le monstre de Besson, avec un résultat qui n'avait pas à rougir en terme de créativité...

UPDATE : Besson aurait principalement touché des crédits d'impôt (ce qui reste assez bizarre) et très peu en aide du CNC (ce qui nous concerne). Pour Mutafukaz, c'est surtout du au fait qu'il n'a pas été fait en France mais au Japon, malgré le fait que la prod soit française. Du coup il n'ont pas pu être éligible pour les aides du CNC... C'est un point qui pourrait peut être valoir une réforme pour aider les co-productions internationales un peu plus, mais ça nous éloignerait de notre sujet.

Sincèrement, je pense que le système reste utile pour 80% des cas, mais que vous devez avoir facilement 10% de cas qui devraient pouvoir être aider mais repartent bredouilles, et 10% qui n'ont pas besoin de l'argent et à qui on le donne quand même (et qui parfois n'ont donc même pas le droit à l'aide mais l'ont par dérogation ).

C'était d'ailleurs un des points sur lequel les gens se sont interrogés à propos de Cyprien : avait-il vraiment besoin de ces 50.000 € pour la boîtes dont il partage la direction avec sa compagne ? N'y avait-il pas un projet qui avait bien plus besoin de cette somme qui lui ne l'aura pas ?

C'est parfaitement possible. 

Du coup, doit-on mettre un plafond pour interdire l'aide à des boîtes qui seraient trop grosse pour réellement avoir besoin d'un coup de pouce ? Et bien c'est déjà le cas, mais peut-être que le plafond est trop haut la aussi. Il se base sur le nombre d'employé, plutôt que le Chiffre d'Affaire, si je me souviens bien. Or, une boîte basée sur Internet ou le Jeu Vidéo peut avoir un nombre restreint d'employés et pourtant valoir une fortune et avoir un capital important à disposition. 

Autre solution possible pour limiter les cas de conflit d'intérêt : ne pas avoir de membres permanents dans ces commissions et faire tourner un peu plus les personnes du milieu. Cela ne résoudra pas tout, mais pourra éviter certaines situations.

Update : pour le coup il faudra que je me renseigne sur la durée de leur mandats, car ils semble en avoir un. J'ai peut-être loupé l'info dans les article, donc n'hésitez pas à me le signaler si vous avez une réponse.

Il faudrait aussi penser à prendre plus de gens du milieu sans pour autant les prendre tout en haut de l'échelle : plutôt que de prendre un directeur, producteur, réalisateur... Pourquoi ne pas prendre plus de directeurs artistiques, scénaristes, et une part plus importantes de personnes extérieurs au milieu pour mettre une bonne dose d'impartialité ? 

Le problème dans tout ça, c'est que j'ai la vague impression que toute volonté de réforme du système est parfois vue comme « VOUS VOULEZ TOUT DETRUIRE !!  » alors que non... 

Mais bon, après tout, ça marche comme ça depuis 1947 hein... Alors ça doit pouvoir encore tenir 70 ans de plus, non ?