10:05 am
27 septembre 2015
A l'heure où il n'est quand même pas totalement improbable qu'Encanto rafle l'Oscar du meilleur long-métrage d'animation, et malgré l'absence de sympathie que nous pouvons avoir pour la compagnie Disney, je voudrais profiter de l'occasion pour défendre ce film dont les critiques n'ont pas toujours été élogieuses. Force est de constater, quelques mois après l'avoir vu, que ce film m'a surpris et marqué à plus d'un titre.
Passons vite sur la réalisation, c'est un Disney de bonne facture. Même si on peut lui reprocher un chara design un peu flemmard (il y a 15 personnages avec peu de temps à l'écran alors ils ne sont pas allé creuser très loin), j'ai trouvé le film beau et dynamique, avec un réel effort sur la photographie, la couleur et la lumière. A cela s'ajoutent les quelques chansons, que pour ma part, j'ai adoré et que je continue d'écouter assez souvent.
Je suis allé voir Ecanto sans absolument rien connaître du film que l'affiche, et donc sans avoir aucune idée de l'intrigue. Je ne peux que vous recommander d'en faire autant mais si vous voulez ne serait-ce qu'une vague idée de l'histoire, la voici :
Suite à une guerre civile en Colombie (j'ai lu qu'il s'agissait de la "guerre des milles jours" entre 1899 et 1902) et à la perte de son mari, Alma Madrigual et ses enfants en bas âge se réfugient, accompagné de quelques dizaines d'autres villageois, dans une vallée merveilleuse. Dans ce cadre idyllique, la famille Madrigual s'agrandit et prospère durant quelques décennies. Vivant dans une "Casita" vivante, les enfants et petits-enfants Madrigual gagnent tous un don magique quand ils grandissent, dont ils font profiter avec générosité les autre villageois. Sauf... Mirabel, l'une des petites-filles d'Alma qui n'a reçu aucun don. Tout se passe donc presque merveilleusement bien jusqu'au jour où... plus tout à fait.
Difficile de continuer l'analyse et d'expliquer pourquoi j'ai apprécié le film sans passer en mode mode "'spoil", qui va donc être assez long :
C'est dans sa structure que réside, à mon sens, la principale originalité d'Encanto, mais qui peut dérouter au premier visionnage. Il y a clairement une menace, mais on ne sait pas ce qu'elle est. On s'attend à voir un antagoniste majeur, mais il n'y en a pas. Seule Mirabel voit que "quelque chose n'est pas normal", mais elle est la seule à le ressentir. Tous les autres membres de sa famille, en particulier la grand-mère, vivent soit dans l'ignorance, soit dans le déni, et accusent Mirabel de "faire son intéressante" pour compenser le fait qu'elle n'ait pas de pouvoir. "Tout va bien, de quoi nous parles-tu?"
Ne comprenant pas ce qu'il se passe alors qu'il ne semble rien se passer, Mirabel mène l'enquête. Deuxième originalité du film : il n'y a pas de "grand voyage". Toute l'intrigue se passe dans la vallée d'Encanto (même si la nature même de la Casita permet un certain dépaysement). Et pendant longtemps, on ne voit pas où mène l'enquête de Mirabel.
Elle interroge sa soeur Luisa, dotée d'une force surhumaine, mais découvre seulement que celle-ci est au bord du burn-out. Elle s'intéresse à Bruno, l'oncle maudit de la famille ("We don't talk about Bruno") qui a disparu il y a des années alors que son pouvoir était de lire l'avenir. On croit un temps qu'il est l'antagoniste du film, mais on découvre au contraire une histoire touchante assez pathétique. Et plus Mirabel enquête, plus elle dévoile une réalité qui la terrifie : elle serait elle-même la cause de la destruction de sa famille qu'elle adore. Plus elle essaie de comprendre "ce qui ne va pas", sans savoir ce que c'est, plus elle semble contribuer à provoquer elle-même cet éclatement en s'opposant à sa famille qui lui dit d'arrêter.
Tout prend progressivement sens au fur et à mesure du film mais c'est loin d'être évident au premier abord, et c'est assez déroutant : on ne comprend pas où est l'aventure. Mais au bout d'un temps, cela devient évident : derrière le merveilleux et la magie, Encanto ne parle QUE de famille, et c'est probablement l'un des meilleurs films qui ait été fait sur le sujet.
Dans la famille Madrigual, tout le monde porte le poids de son pouvoir et du lien social qui les unit aux autres. Alma, "Abuela"/la matriarche, est la gardienne de la tradition et tient sous son carcan (qu'elle porte elle-même) tout les autres membres. Pepa est la tante cyclothymique dont l'humeur changeante fait la pluie et le beau temps, au contraire de sa sœur Julieta dont les soins réchauffent le cœur et la cuisine "guérit tous les maux". Bruno, on l'a dit, est l'oncle maudit, le canard boiteux dont on ne doit pas parler : son pouvoir de lire le futur est en réalité celui d'ouvrir sa gueule, de dire tout haut ce que personne n'a envie d'entendre. Dolores, "à l'ouïe surnaturelle" est naturellement la cousine pipelette, toujours prête à colporter les ragots qu'elle a entendu. Parmi les sœurs de Mirabel, Luisa est la "fille forte", celle dont on attend qu'elle prenne soin de tout le monde, jusqu'à l'épuisement s'il le faut. Et le personnage au début un peu agaçant d'Isabela, la beauté incarnée qui fait pousser les fleurs sur son chemin, est en réalité enfermée dans son rôle de "fille parfaite" à marier avec un homme qui ne l'intéresse pas pour permettre le rapprochement de deux familles.
Le "pouvoir" de Mirabel s'apparente à celui de Bruno, c'est celui de mettre le boxon (pour employer une formule polie). Celui de percer les lourds secrets de famille, de bousculer l'ordre établi. Et de montrer à tout le monde que la famille est en train d'exploser précisément parce que chacun en a intérieurement marre de suivre les règles explicite et implicites de ladite famille, incarnée par Abuela. Abuela qui se révèle être le personnage à la fois le plus tyrannique et le plus esclave de tous. Interprété "dans la vraie vie", l'histoire de la famille Madrigual est celle d'une femme qui a perdu son mari dans des circonstances horribles, et a cherché à protéger à tout prix ses enfants et sa famille en les faisant grandir dans un cadre idyllique et surprotégé : mais le prix de cette protection est celui de la liberté individuelle, et l'obligation morale de contribuer au maintien de sa famille plutôt qu'à son épanouissement propre.
Malgré se qualités, Encanto a aussi ses maladresses car l'histoire que le film veut vraiment raconter, celui de la famille, sort complètement du schéma habituel des films à grand spectacle, qui nécessitent habituellement la sortie du cadre familier ("la grande aventure") et un antagoniste marquant. Il y a eu d'autres films sur la famille mais ceux-ci n'appliquent généralement pas le monomythe de Campbell : on peut penser au "Prénom" ou à "un Air de famille". Du coup le mélange des genres, entre film intimiste et film à grand spectacle, crée cette impression de lenteur dans l'avancée de l'intrigue, et pendant longtemps, on se demande où le film veut en venir.
Quant à la fin, spectaculaire et pleine de bons sentiments, elle est inévitable dans un Disney, mais fait un peu forcée dans un film sur la pression familiale. Comme on ne comprend pas pendant assez longtemps "ce qui ne va pas", on a un peu de mal à accepter "ce qui va mieux" comme étant un aboutissement, une vraie fin. OK, donc à la fin tout le monde se réconcilie, et maintenant on a le droit d'être un peu plus cool et de moins avoir la pression. C'est certainement important pour la famille, mais pour le spectateur, on peut être un peu déçu par la progression du film. 2 heures d'effets pyrotechniques pour un "accomplissement" qui se limite à "Bon, c'est bon, Abuela, tu vas nous lâcher un peu maintenant?", c'est quand même moins engageant que la destruction de l'Anneau unique ou celle de l'Etoile noire.
Malgré ses maladresses, je suis tombé sous le charme de ce film auquel je pense encore souvent. Ne critiquons pas Encanto sans le voir, parce que d'autres ne l'ont pas aimé ou "parce que c'est Disney". Ce n'est pas un film parfait, et il n'atteint pas le niveau de "Coco", qui abordait un peu les mêmes thèmes. Mais il a une thématique originale, une sensibilité et une profondeur, et mérite d'être vu pour se faire une opinion.
Et vous l'avez-vous vu? Qu'en pensez-vous?
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Marco Sensei10:59 am
27 septembre 2015
Petit complément : parmi les chansons du film, il y a LA chanson du film, qui est en fait la première que je me suis empressé de rechercher sur Spotify en rentrant chez moi.
Et c'est bien sûr, pour ceux qui l'ont vu : "We don't talk about Bruno". Rythme catchy et latino, polyphonique, avec une thématique forte (l'oncle maudit) et une des séquences les plus fortes du film.
C'est "la chanson du méchant"... mais sans méchant.
Ce que je n'avais pas vu, c'est qu'elle a pulvérisé les charts américains, australiens et britanniques, et que c'est devenu la chanson Disney à être restée le plus longtemps au sommet du classement américain et la première a atteindre le sommet du classement britannique.
Donc devant "Libérée, delivrée", oui.
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